Manifeste pour notre santé et notre sécurité au travail
Nous venons de prendre connaissance de la dernière communication sur les mesures barrières contre le COVID-19 envoyée par la directrice HSSE France le dimanche 22 mars 2020 à 20h10 à tout le personnel.
Depuis le début de la période de confinement, l’État français a enfin pris toute la mesure et l’ampleur du risque de contamination de COVID-19. Des dispositifs massifs et restrictifs ont été mis en place pour l’ensemble de la population, accompagnés de contrôles policiers drastiques afin de les faire respecter. Citons le ministre de la Santé : « Il faut éviter toute chaîne de transmission ». La priorité est donc bien de ne pas propager le virus en ne devenant pas soi-même un maillon de cette chaîne. Cette méthode se classe dans le cadre d’une prévention primaire vouée à combattre le risque à sa source et l’éliminer le plus rapidement possible. Les mesures barrière proposées venant ensuite en prévention secondaire, dans les cas où bien évidemment le confinement total est impossible pour des raisons vitales évidentes.
Les moyens sanitaires, la logistique de première nécessité ainsi que les interrogations sur les intérêts économiques du pays font l’objet de débats et de décisions quotidiennes au sein du gouvernement depuis le début de cette crise sanitaire. Il en ressort que l’activité de notre entreprise et son domaine de compétence sont nécessaires, dans une certaine mesure, au fonctionnement vital des stations-service permettant, entre autres, le ravitaillement de tous les véhicules impliqués dans la survie du pays.
Nous sommes bien conscients de cet état de fait et l’acceptons. Néanmoins, nous vous alertons avec la plus grande fermeté sur la façon dont Tokheim Service France et ses dirigeants gèrent cette crise.
En effet, si des mesures simples comme le télétravail pour les cadres et le personnel sédentaire ont été utilisées, que les dispositifs d'arrêt de travail pour garde d’enfants et pour le personnel présentant des risques inhérents à leur état de santé ont été favorisés, il n’en demeure pas moins que cela émane de dispositions suggérées et favorisées par l’État, à l’instar des mesures barrière.
Concernant les salariés ne pouvant pas bénéficier du télétravail, à savoir les techniciens et intervenants terrain, population la plus importante dans notre entreprise, il est du ressort quasi-unique de l’entreprise de s’assurer qu’ils sont totalement soustraits du risque évalué, ici le COVID-19 et sa propagation. Or, à en juger par la communication de la direction auprès des instances représentatives du personnel ou des salariés, cette dernière est sans conteste beaucoup plus préoccupée par les enjeux économiques que par la sécurité de ses employés et de leurs familles.
Certes, il ne faut pas ignorer cet aspect de la crise car il est important de préserver la pérennité de l’entreprise et son activité, même partielle. Mais ceci ne peut en aucun cas justifier de faire passer la santé et la sécurité des personnes au second plan, plus encore dans cette configuration de pandémie actuelle. Le pire serait que l’entreprise y trouve là une opportunité de mettre à profit économiquement cette situation anxiogène au détriment de la sécurité et des conditions de travail, un effet d’aubaine en quelque sorte pour ses actionnaires et dirigeants. Nous avons maintes fois entendu la phrase : « S’il n’y a plus d’entreprise, il n’y aura plus de syndicats, ni de salariés »...
Il se trouve que l’information est tronquée et opaque, voire inexistante pour les salariés et les IRP en dehors des communications primaires de base sur les mesures gouvernementales. Pour exemple, le martèlement des consignes sur les gestes barrières par le service HSSE. Cee qui peut s’entendre. Mais l’entreprise finit par l’associer à un document s’apparentant à une décharge en cas de contamination ou de non-respect des consignes par le personnel du terrain. Le but de ce document est inconnu des salariés et les instances représentatives du personnel n’ont pas été informées de sa nature ni de sa fonction, encore moins de son existence avant sa mise en ligne.
Les mesures de confinement prononcées et l’absence de prise en compte du risque chez Tokheim Services France ont poussé les élus CGT au CSEE Grand Paris à déposer une procédure de danger grave et imminent (DGI) auprès de la direction pour tous les salariés de l’entreprise exposés au risque COVID-19. Outre l’enquête unilatérale que nous avons réalisée (la direction n’a pas fait suite) et les préconisations établies, cette démarche nous a permis de cerner un peu plus la technique de communication de la direction auprès des instances représentatives du personnel et surtout des salariés lors de cette crise.
Lors des réunions organisées par la direction (CSEE extraordinaire suite au DGI, puis CSEC extraordinaire), les maigres réponses apportées aux élus se cantonnent en résumé à : il existe une cellule de crise direction mais rien ne filtre des hypothèses et scénarii étudiés ; il n’y a pas de problèmes organisationnels ni pour les sédentaires ni pour les itinérants ; les produits de nettoyage habituellement à disposition des techniciens suffisent comme barrière au virus ; toutes les mesures de substitution et d’accompagnement sont en cours d’étude ; nos clients ne communiquent pas.
Durant la réunion de CSEE du 16 mars, un des élus présent nous a appris que son directeur lui refusait le télétravail depuis plusieurs jours, qu’il usait de subterfuges organisationnels pour ne pas avoir à se rendre au siège, mais également que certains n’ont pas eu le « droit » de bénéficier de cette disposition avant le 16 mars et la survenue de son caractère obligatoire. Des directeurs et chefs de service la refusaient à leur bon vouloir. Situation normale puisque le DRH souhaitait un effectif à 50% minimum pour la sauvegarde de l’activité.
En CSEC, la situation est encore plus ahurissante, puisque le syndicat majoritaire a rendu unanimement un avis favorable au recours au travail partiel comme proposé par la direction, sans en voir les modalités, sans s'assurer que les instances représentatives du personnel seraient associées à cette démarche. Le directeur général n’a parlé que de « business », de marchés, de clients et surtout d’argent, aucune information sur l’ordre du jour de la réunion n’a été fournie, aucune question posée par les élus titulaires, aucun point légal dans cette démarche en matière de critères et d’organisation n’a été abordé et ce, malgré nos questions. Puis l’avis « favorable » a été rendu dans un silence de cathédrale, sans délibération, sans l'adoption d'une résolution, non sans qu’au préalable le directeur des ressources humaines ne précise que cette consultation était de pure forme, puisqu’y déroger est possible désormais, merci le gouvernement !
Face aux critiques et au questionnement de nos élus, la communication écrite et générale de la direction s’est structurée et articulée dans une démarche d’officialisation des mesures dans un esprit paternaliste, patriotique et solidaire. Non sans trahir le désir « d’utiliser tous les outils d’ordre social et financier proposés par le gouvernement pour assurer la pérennité de l’entreprise », afin de « pouvoir rebondir dès la fin de cette crise.»
Nous avons pu voir apparaître des propositions lancées à la hâte, comme la préemption de jours de RTT climatiques ou bien la cinquième semaine de congés payés. Il est même fait appel à la générosité du personnel itinérant. Ceci faisant écho aux salariés en droit de retrait que le directeur des ressources humaines considère comme une « technique légale », mais qui manifestement irrite nos patrons.
Par la suite, la recherche de crédibilité dans l’action paraît essentielle pour réinstaurer la confiance des techniciens, on écrit beaucoup, les maigres mesures sont agitées avec redondance (gestes barrière, signature PPJ…). Mais les vraies orientations sont, elles, distillées au cas par cas par les chefs d’agence avec pour objectif le cassage du droit de retrait et la course à la rentabilité. Se faisant souvent par des conversations fermes et musclées ou des mails directifs et intrusifs.
Le « tout mettre en œuvre pour vous protéger ainsi que vos proches » se traduit en réalité par : tout mettre en œuvre pour faire travailler l’effectif maximum dans des conditions quasi-identiques à la normale.
Le point de cristallisation dans la problématique de chacun se trouve donc ici. Les uns cherchent à préserver leur vie et celles de leurs proches, les autres à rationnaliser économiquement cette situation de crise.
Nous avons pu ainsi constater que deux types de communications sont employées, celle écrite se cantonnant au strict minimum provenant de la direction ou du service HSSE, puis celle plus directe et brutale du terrain, par téléphone ou par mails individuels, de la part de la hiérarchie intermédiaire et particulièrement des chefs d’agence.
La situation actuelle pour un technicien de maintenance qui n’est pas encore en droit de retrait, est la suivante : il est contraint de travailler toute la journée, sans distinction d’urgence ou de priorité dans les interventions qui lui sont attribuées, il n'a pas accès aux points de restauration le midi et donc aux sanitaires. Alors que des sites sont dépourvus de points d’eau, pour sa « sécurité » et sa « protection », l’entreprise lui fournit uniquement ce qu’elle a en stock : des lingettes nettoyantes, du savon d’atelier et 2 boîtes de gants. A ce propos, l’entreprise ne communique pas aux salariés les informations des fournisseurs de ces produits nettoyants, sachant qu’ils ne sont pas désinfectants et que la médecine du travail a émis un avis très circonspect à leur sujet. Il ne dispose pas gel hydro-alcoolique ni de masques FFP2 conformément aux procédures du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP). N’en déplaise à la direction qui se retranche derrière la pénurie.
Le constat est là, absolument rien n’a changé dans la façon de travailler des techniciens hormis les documents qu’ils doivent avoir en leur possession pour circuler, document que l’entreprise s’est empressée, telle une priorité impérieuse, de rédiger et mettre en ligne avant même de s’assurer que les salariés soient correctement protégés.
Pour preuve, la communication de la direction HSSE du 22 mars à 20h10 qui ne laisse aucun doute à ce sujet lorsqu’elle écrit : « Nous espérons faire aboutir très rapidement d’autres actions afin de faciliter vos interventions EN TOUTE SECURITE ».
Nous savons que d’autres entreprises du secteur, de surcroît bien plus petites que la nôtre, sont déjà équipées de gel hydro-alcooliques, de lingettes désinfectantes et de masques pour leurs techniciens.
La direction de Tokheim Services France, loin de prendre les dispositions nécessaires pour donner les moyens à son personnel d’être en capacité d’appliquer des mesures barrière et de se prémunir de toute contamination de COVID-19, au contraire incite, voire oblige sous la menace, des techniciens à intervenir en-dehors de toute garantie de sécurité pour sa santé et celles des siens, et cela en toute connaissance de cause.
La confiance est depuis bien longtemps perdue entre la direction et ses salariés, en témoignent les deux rapports d’expertise « risque grave », mais surtout le mépris affiché par l’entreprise sur ces sujets ainsi que l’absence de réponses et de mesures dans ces domaines. Comment peut-on encore penser que le souhait de nos patrons soit notre santé et notre bien ? Bien naïf et candide qui se prendrait à y croire.
Nous ferons les comptes plus tard, car s’il n’y a plus d’argent, il n’y a peut-être plus d’entreprise - comme nous le répètent en chœur direction, organisation syndicale majoritaire et même certains salariés ! - mais s’il y a des morts et plus de salariés, là, c’est une certitude, il n’y aura plus d’entreprise.
Crédits visuel : Frustration magazine